Le livre reste un enjeu dans toutes les sociétés et extrême paradoxe dans une conjoncture, celle du 21ème siècle, où les moyens de diffusion de l’information et les conditions d’accès à l’information deviennent de plus en plus performants et permettent de contourner les entraves techniques, réglementaires et juridiques.
Mais le livre est labellisé aux « industries du livre », apparentées elles mêmes aux « industries culturelles », ce qui pose d’emblée l’épineuse question de la terminologie, des concepts et notions en usage. De cette multitude de notions accolées au livre : « industrie », secteur (économique), filière, biens, services, mode d’expression culturelle et enfin d’activités, s’ébauchent une pluralité d’approches théoriques – pluridisciplinaires d’abord économiques, sociologiques, anthropologiques et enfin politiques. Les synthèses faites, très riches, par ailleurs, ne sont pas dépourvues de toute intention idéologique puisqu’elles sont le résultat, l’aboutissement des développements réalisés dans des contextes où émerge le progrès scientifique et technologique, pas seulement puisque ce dernier a pour corollaire l’exigence de valeurs démocratiques, de gouvernance, amarrées à un projet de société (modèle de société).
En Algérie, l’industrie du livre en tant que segment/secteur/filière des industries culturelles subit au même titre que les autres filières l’impact des mutations en cours. Cet impact est visible à travers l’émergence d’un entrepreneuriat privé, d’une législation de plus en plus en conformité avec les exigences et recommandations internationales même si elle reste tatillonne, d’un soutien plus affirmé que par le passé des pouvoirs publics mais souvent entaché de lourdeurs, de reculades et d’initiatives croissantes de la part des principaux acteurs/opérateurs.
Mais cette évolution est souvent perçue et décrite comme étant le résultat de facteurs endogènes liés aux conditions d’émergence et d’évolution de la filière et que les facteurs exogènes n’influent que peu profondément sur le cours de ce développement. La vision systémique est quasi absente dans les discours et les études faites à ce propos et dans ce contexte.
Trois constats qui se déclinent en problématiques sont à l’origine des questionnements sur la nature des mutations et les difficultés de transition en Algérie à travers l’industrie du livre et qu’il s’agit de cerner, d’analyser.
1. L’absence d’une politique culturelle, d’un document écrit de la politique culturelle qui pose question par rapport aux engagements concrets et sur le terrain des pouvoirs publics pour le soutien de la culture ;
2. La non ratification de la convention de 2005 « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » dont le principe, pourtant, est acquis au plus haut niveau de l’Etat ;
3. La proposition tardive d’un texte de la loi sur le livre –octobre 2013 (recommandée depuis 1998 par l’Unesco, les assises nationales du livre en 2003) dont le contenu suscite des controverses parce que certaines de ses dispositions viennent en contradiction avec les fondements d’une politique culturelle et de la convention sur la diversité des expressions culturelles.
Ce qui permet d’aborder la problématique de l’action publique pour la culture dans le double fond de la question de l’affirmation identitaire et de l’ouverture au monde. Cette dernière qui par elle-même repose la question de la « mondialisation de la culture » au travers des échanges transnationaux, et la question de la « diversité culturelle », « diversité des expressions culturelles » qui devient de plus en plus prégnante des débats et des approches théoriques et par nécessité socio-anthropologiques et politiques dans les contextes nationaux et au plan international.
Le contexte algérien n’est qu’un prétexte, exemple sur lequel s’ordonne l’ensemble du questionnement qui concerne en fait l’ensemble des « pays du sud » pour utiliser l’expression en usage en place et lieu, et par euphémisme, des expressions « pays en voie de développement » ou « pays sous-développés » ou encore « pays pauvres ». L’évolution de l’usage de ces expressions traduit elle-même les schèmes et l’état d’esprit des hommes et des sociétés qui les ont produits dans un contexte donné, mais aussi la prise de conscience et les luttes qui ont découlent pour asseoir une terminologie conforme à la réalité des choses. Il n’y a pas de « neutralité » dans le concept.
Le mouvement d’ensemble (culture-développement) qui participe à ces transformations et ses avancées sur le plan des concepts, des dispositifs, des législations et des incitations à entreprendre n’a pas encore permis à l’Algérie de s’inscrire dans la dynamique du changement devant la complexité de compréhension des stratégies et des enjeux derrière ces stratégies.
Ces trois éléments/évènements sont révélateurs à notre sens du caractère spécifique de la donne culturelle en Algérie. De la perception du rôle de la culture et des industries culturelles dans le développement de la société, des approches qu’en font les principales composantes impliquées dans la décision politique, du rôle de la société civile et partenaires sociaux et économiques.
Cette approche suggère nécessairement que cette filière des industries culturelles, l’industrie du livre de par les caractéristiques que présentent le livre, la chaîne du livre, les acteurs et les consommateurs peut permettre de saisir les logiques de fonctionnement et les mécanismes à l’origine des dysfonctionnements et qui font que l’accès à la lecture, à la culture et au savoir sont autant d’espaces de démocratisation et de développement de l’individu et de la société qu’il faut asseoir.
Les industries culturelles : enjeu conceptuel/enjeu sociétal
Nous reprenons à notre compte les approches et les synthèses faites à propos de l’expression (notion) « industries culturelles », de son origine et de développement ultérieur. Le terme « industrie culturelle » vient en fait en remplacement des termes « culture de masse » qu’ils jugent moins expressifs de leur pensée, et pour éviter de faire croire « qu’il s’agit de quelque chose comme une culture jaillissant spontanément des masses mêmes, en somme la forme actuelle de l’art populaire. Or de cet art, l’industrie culturelle se distingue par principe »(1).
Le terme même d’« industrie » se rapporte à la standardisation de la chose même, et à la rationalisation des techniques de distribution, mais il ne se réfère pas strictement au processus de production. Le concept d’industrie culturelle prend donc forme dans ce contexte d’émergence des médias de diffusion massive dans une tentative d’analyse critique de la standardisation du contenu et de la recherche de l’effet qui se situent, selon les théoriciens de l’École de Francfort, aux antipodes de ce qu’est fondamentalement l’œuvre d’art. « Pour eux, selon Tremblay(2), l’application des méthodes industrielles au champ de la culture aboutirait à la mort de l’art. Si ce courant de pensée compte encore des adeptes, l’expression industries culturelles, dont l’usage s’est généralisé au cours des années 70 et 80, n’évoque plus nécessairement une telle perspective catastrophiste ».
Il s’agit cependant de bien préciser ce que comporte cette expression devenue d’un usage commun et pour ce faire nous privilégions cette définition de Zallo Ramon : « On entendra ici par industries culturelles un ensemble de branches, de segments et d’activités industrielles auxiliaires qui produisent et distribuent des marchandises à contenu symbolique, conçues par un travail créatif, organisées par un capital qui se valorise et destinées finalement aux marchés de consommation, et qui joue aussi un rôle de reproduction idéologique et sociale » (3).
Mais les industries culturelles relèvent « d’un champ économique spécifique d’activités encore très hétérogènes … Il nous faut dès lors préciser en quoi consistent cette spécificité et cette hétérogénéité » ; elles « présentent des caractéristiques qui, prises une à une, peuvent se rencontrer dans d’autres secteurs industriels, mais qui, prises dans leur ensemble, ne se retrouvent que dans ce secteur auquel elles configurent un profil particulier »(4)
Ce profil se décline selon Ramón Zallo (1988) autour de trois thèmes :
1. l’importance du travail de création;
2. l’exigence d’un renouvellement constant des produits;
3. le caractère aléatoire de la demande.
Auquel il faut ajouter selon (Miège, 1986 ; Tremblay, 1990).
4. une certaine inélasticité de la demande,
5. une plus grande variété des modes de rétribution du travail que dans les autres secteurs industriels,
6. une double articulation entre industrie du support et industrie du contenu et
7. les particularités de l’acte consommatoire en matière culturelle. Selon La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001) (5), Le terme « industries culturelles » s’applique aux secteurs qui conjuguent la création, la production et la commercialisation de biens et de services dont la particularité réside dans l’intangibilité de leurs contenus à caractère culturel, généralement protégés par le droit d’auteur.
Les industries culturelles incluent l’édition imprimée et le multimédia, la production cinématographique, audiovisuelle et phonographique, ainsi que l’artisanat et le design. Certains pays étendent le concept à l’architecture, aux arts plastiques, aux arts du spectacle, aux sports, à la fabrication d’instruments de musique, à la publicité et au tourisme culturel. On parle alors plutôt « d’industries créatives » (creative industries). Dans les milieux économiques, on les qualifie « d’industries en expansion » (sunrise industries), et dans les milieux technologiques, d’« industries de contenu » (content industries).
Mais ce type de définition et d’approches suscitent des réactions critiques dans la mesure ou « …l’amalgame des industries culturelles et des industries “créatives” (secteurs, moins reconnus comme culturels mais où l’on estime que la créativité est une composante essentielle tels que la publicité, l’architecture, l’artisanat, le design, la mode, les jeux vidéo, le software et le commerce d’antiquités) recèle un danger potentiel, celui de la dilution de la spécificité des industries culturelles et de l’affaiblissement de l’argumentation en faveur de l’intervention des pouvoirs publics ». « La conception strictement utilitariste de la créativité qui s’affiche dans les documents sur les industries créatives, celle qui se traduit nécessairement par la création d’emplois et la production de bénéfices, pourrait contaminer plusieurs programmes d’aide aux arts et à la culture » (6).
Ces approches se fondent sur une démarche autrement plus complexe dans le sens ou « les industries de l’information, de la culture et de la communication, de par le potentiel de croissance qu’elles affichent ou qu’on en espère, sont perçues comme le principal moteur de développement économique des futures “sociétés de l’information”. Elles sont présentées, dans le discours officiel, comme l’étendard et le modèle de sortie de crise. Ce sont les secteurs “de pointe” qui assureront la revitalisation de l’ensemble du tissu économique. On peut en ce sens parler de la valeur emblématique et paradigmatique de ces industries » (7).
Ainsi, les enjeux se situent à un niveau plus élevé, celui de l’avènement d’une nouvelle société fondée sur le savoir, la communication, la culture et les médias qui deviennent le moteur du
développement humain.
Etat et politique(s) culturelle(s)
a. Enjeux et stratégies
De cet ensemble de discours, de rencontres, de prises de position, de plans d’action, de déclarations de recommandations etc…, initiés d’une manière formelle ou informelle, par des ONG ou par des institutions internationales à l’instar de l’UNESCO, par des chercheurs et autres experts, il ressort une nette insistance pour l’implication des Etats et gouvernements dans la chose culturelle.
Le rôle dévolu et souhaité des pouvoirs publics doit s’inscrire dans une dynamique d’orientation et de soutien plutôt qu’une prise en charge totale du secteur de la culture. L’appréhension d’un désengagement des Etats, notamment ceux évoluant dans des contextes de sous développement et de dépendance économique, des grands secteurs de la vie économique et sociale est souvent perçu comme un prélude à un désintérêt pour une politique culturelle volontariste.
A l’inverse, une autre appréhension est souvent présente aussi, celle de voir les Etats (pouvoirs publics mais aussi la société) s’orientait vers un protectionnisme et hégémonie sur les secteurs culturels sous prétextes de la préservation de leurs spécificités (identités, coutumes, langues etc.).
Par ailleurs, cette implication de l’Etat est souvent interprétée comme une délégation de pouvoir exigée par ce moment historique précis. Les pouvoirs publics sont considérés comme un arbitre ; sans supposer que cet Etat est lui-même atteint par le même processus de « marchandisation » que celui qui affecte la culture. C’est une hypothèse à laquelle sont sensibles certains experts et chercheurs au vu des pratiques dans certains contextes.
Nous retiendrons simplement que « Le concept de politique culturelle suppose une double réflexion préalable (8) :
– L’une au niveau de la notion même de culture, qui tend actuellement à embrasser pratiquement toute l’activité humaine et son environnement social, anthropologique et idéologique.
– L’autre au niveau de la finalité de toute culture, qui doit se baser sur la prise de conscience « qu’une communauté humaine possède de son propre mouvement historique et en fonction de quoi elle tend à affirmer la continuité de son être propre et à en assurer le développement » (9).
b. Formes d’engagement et institutionnalisation d’une politique culturelle
L’Algérie ne dispose pas encore d’un document écrit de « politique culturelle ». En dehors des textes et documents, « commandés » par l’UNESCO (10), qui retracent les grandes lignes d’une possible « politique culturelle », rédigés par des experts indépendants (algériens et étrangers), le ministère de la culture n’a pas encore vu l’urgence et l’importance d’un tel document. C’est à l’initiative d’un groupe de chercheurs, créateurs et hommes de lettres qu’un projet de « politique culturelle de l’Algérie » a été élaboré et finalisé en février 2013 (11).
Cependant, le « Schéma directeur sectoriel des biens et services et des grands équipements culturels » (12) reste un document (d’une cinquantaine de pages) essentiel par l’approche critique des réalisations culturelles faites en Algérie et les perspectives qui sont dégagées pour la relance du secteur de la culture (13). Il ne s’élève pas au niveau d’un document de politique culturelle mais ses rédacteurs (le ministère de la culture) ont pris le temps de réaliser une cartographie qui colle aux réalités, de rendre disponible des statistiques et surtout d’avancer les éléments d’un
programme (d’investissement) pour chaque secteur de la culture (livre, bibliothèque, théâtre, cinéma, maison de la culture, musée, etc.) (14).
Les industries culturelles en Algérie
Le « manque d’intérêt pour les industries culturelles, comme semble l’affirmer Ammar Kessab (15) – que ça soit de la part des chercheurs ou de la part des autorités– résulte de la faiblesse de ce secteur en Algérie qui est encore à l’état embryonnaire. Cette situation est la conséquence d’un ensemble d’obstacles d’ordre systémique mais aussi structurel qui empêchent leur émergence ».
Il retient deux facteurs à l’origine de ce désintérêt :
1- Un facteur économique : l’économie de rente. L’Algérie fonctionne selon un système économique à base de rente (revenus des ressources naturelles). L’accumulation de la rente et sa distribution constitue de ce fait l’activité économique principale et les industries culturelles sont victimes de cette logique rentière.
2- Un facteur politique : restriction de la liberté d’entrepreneuriat culturel à travers le contrôle de la production et la délivrance des autorisations d’édition ou d’importation de livres.
a. La place de la culture en Algérie
La notion d’industries culturelles est économiquement et statistiquement non congruente et fait encore l’objet d’acceptions différentes, selon les approches économiques, l’importance accordée à
certains critères. Cependant, la grille généralement adoptée est celle de statistiques homogènes pour tous les activités économiques relevant d’une « approche entreprise » (taille, chiffre d’affaires, effectif). Ce qui pour un secteur comme « les industries culturelles » ne semble pas convenir totalement du fait des caractéristiques propres de ces industries.
Encore moins par rapport à la disponibilité des données dans un contexte comme celui de l’Algérie au vu des vicissitudes de l’appareil statistiques. Il nous semble que le critère le plus significatif permettant de se faire une idée sur la place et l’importance de la culture est celui du budget alloué, d’autant que dans le cas de l’Algérie c’est l’Etat qui est encore l’animateur de la vie culturelle, le secteur privé est embryonnaire du fait de sa récente émergence dans la vie économique et culturelle.
Le budget consacré à la culture évolue d’année en année et semble que l’Algérie est l’un des pays maghrébins et arabes et même africains à accorder plus d’intérêt à ce secteur. Il est vrai aussi que ce budget est souvent dopé grâce (et lors) aux grandes manifestations culturelles régionales et internationales que le pays abrite et organise. Ainsi, le budget de la culture atteint en 2011, à l’occasion de la tenue de la manifestation « Tlemcen Capitale de la Culture Islamique », la somme historique de 452 millions de dollars, soit le budget le plus important dans la région Arabe et en Afrique. Il avait atteint, avec l’organisation en 2009 du « 2e Festival Panafricain d’Alger », la somme de 360 millions de dollars.
Cependant, le budget de la culture n’a atteint, ces dix dernières années, qu’à deux reprises le 1 % préconisé par l’UNESCO.
A titre comparatif avec les autres pays du Maghreb, l’Algérie est dans la meilleure disposition en matière de budget consacré à la culture.
b. La place de l’industrie du livre dans l’économie du pays
La première constatation est la faible intégration de l’industrie de l’édition et de l’impression dans l’économie : outre les équipements, les encres et autres consommables, le papier est totalement importé depuis l’arrêt de la production nationale à la fin des années 80. Depuis 2006, la tendance commence à s’inverser avec l’entrée en production d’une usine privée de production de papier.
Cependant le sous-secteur demeure fragile de par sa dépendance aux intrants et son faible poids relatif à l’échelle internationale.
L’Algérie est le douzième marché importateur de livres édités en France avec un chiffre d’affaires de 13 millions d’euros en 2008, juste derrière le Maroc et loin devant la Tunisie ». Pour l’année 2006, les importations algériennes de produits de l’édition se sont élevées à 1 486 256,00 dollars.
• La France étant le premier fournisseur avec 85 % du total importé.
• Les pays arabes ne représentent que 17 % de la valeur globale des importations.
Depuis dix ans, les salons du livre contribuent à développer le secteur
L’industrie du livre
a. Caractéristique de l’industrie du livre
La filière livre est la plus ancienne des industries culturelles. Le livre – à l’instar de la plupart des « produits » culturels – n’est pas une marchandise comme les autres. Il possède des caractéristiques économiques qui lui sont propres.
Dans son « essai de définition économique du livre » Jérôme Lallement soulignait que « toutes les difficultés rencontrées pour définir le livre en tant que bien économique s’expliquent par sa double caractérisation comme support et comme texte, comme objet matériel et comme œuvre culturelle. Le support matériel reproductible apparente le livre aux marchandises reproductibles, le texte est au contraire une œuvre unique issue d’une activité intellectuelle, un prototype impossible à reproduire » (18)
.
Marco Gambaro (19) dans son article « approches théoriques de l’industrie du livre » relève certaines caractéristiques du produit-livre d’un point de vue strictement économique :
– la nature de bien public et de bien privé. Un livre est bien public dans la mesure où il est vecteur de culture, élément d’intégration et de promotion sociale, phénomène artistique, ou encore simplement de divertissement. Il constitue un bien privé, c’est-à-dire une marchandise dont la production et l’échange s’effectuent dans le cadre d’une économie de marché.
– Un bien de consommation et un bien d’investissement. La distinction entre biens de consommation et biens d’investissement repose sur le fait qu’un bien peut soit être utilisé au sein d’autres processus de production, soit être destiné à la consommation finale ; c’est généralement la nature de l’acquéreur (consommateur final ou entreprise) qui valide cette distinction.
– Un produit de masse et un produit ciblé. L’assimilation du livre à un produit de grande consommation a conduit les éditeurs à modifier leur logique d’entreprise : d’abord orientée exclusivement vers le produit, elle est devenue plus attentive au marché et aux consommateurs.
– Un bien banal et bien problématique. Le livre est un bien durable ou semi-durable dont l’achat est moins fréquent. Il requiert un processus de recherche préalable à l’achat.
Julien Karpik (20) identifie trois caractéristiques pour définir les biens singuliers. Ces trois caractéristiques sont l’incommensurabilité, l’incertitude et la multi-dimensionnalité. Ces « biens singuliers » ne répondent pas aux lois de l’offre et de la demande du fait qu’ils ne possèdent pas les mêmes caractéristiques que des biens dit « homogènes» (dont la différenciation se fait par le prix). Ces approches sur les caractéristiques du livre (Nelson, Caves, Shapiro, Benhamou, Peltier, Gambaro etc.) se retrouvent autour des principaux points que nous avons énumérés. Elles nous éclairent sur les dimensions de l’industrie du livre, la complexité du processus de production, de consommation, d’évaluation économique et d’insertion dans le projet économique. En revanche, elles présentent autant d’arguments pour la prise en charge du livre à travers l’implication des pouvoirs publics et la mise en place de mécanismes adaptés à ce soutien.
b. L’industrie du livre en Algérie
Les mutations sociales, économiques, idéologiques et politiques, que vit la société algérienne, influent, indéniablement, sur le comportement et les attitudes culturelles des catégories sociales engagées dans un processus d’appropriation des espaces économiques, sociaux et culturels, d’acquisition du savoir et des réflexes de communication et de consommation culturelle.
La conjoncture socio-économique et politique que traverse la société algérienne a eu un grand impact sur l’activité proprement intellectuelle et sur les conditions de production et de distribution du livre. Les paradoxes relevés, dans ce contexte, peuvent signifier une dynamique et être interprétés comme une donnée essentielle des logiques et des stratégies qui s’opèrent autour d’un secteur en pleine mutation, que les contingences historiques et les effets induits de l’indépendance, mais surtout des crises et des ouvertures récentes de la société sur le monde extérieur, n’ont pas encore permis d’en situer les tendances et les développements futurs.
Car il faut souligner que l’industrie du livre a été la victime collatérale de la tragédie qu’a vécue l’Algérie dans les années 1990. Les métiers du livre en général ont été désinvestis, à l’instar de l’édition, la chaine de fabrication et le réseau de distribution. Ecrivains et éditeurs ont été poussés à l’exil ou ont payé de leur vie leur engagement dans la culture, le
livre et l’écriture.
Car, au-delà de l’aspect méthodologique et des difficultés qui résultent de ce phénomène dans son approche, l’industrie du livre doit être analysée dans sa genèse et dans l’évolution des mœurs et traditions de la société algérienne. Ce type de commerce a toujours été identifié aux structures d’Etat, aux points de vente et librairies gérées par les entreprises d’Etat qui avaient le monopole de l’édition, la diffusion et la distribution du livre et du journal.
Le contrôle de l’appareil de production et de distribution du livre et du journal depuis l’indépendance par les pouvoirs publics a conféré un caractère particulier à cette industrie. « Avec la meilleure volonté, les Etats éprouvent souvent de grandes difficultés à concevoir un processus de développement efficace du livre : cette situation est notoire dans la plupart des pays en développement comme dans beaucoup de pays en transition lorsque ceux-ci cherchent à passer de l’économie planifiée à l’économie de marché » (21).
Pour Alvaro Garzon (22), « il faut savoir que dans l´industrie du livre, il existe des préoccupations économiques, humaines, et culturelles à appréhender de façon différente. De là découlent les difficultés, selon lui, qu´éprouvent quelques gouvernements à saisir le problème du livre.
Tous ses acteurs placent le livre dans deux dimensions opposées. Une spirituelle, en rapport avec le contenu de l´œuvre (patrie, identité, religion, etc.) et une autre qui porte sur le coût du livre (le papier, encre, etc.) », concluant « même en ayant des intérêts divergents, les libraires,importateurs et éditeurs seront tous gagnants et satisfaits, si jamais ils ont affaire à un gouvernement disposé non seulement à écouter et àcomprendre, mais aussi à agir pour faciliter la tâche des acteurs du livre ».
c. Les éditeurs, leur poids et leur implantation
En 2008, les services du ministère de la culture ont listés 75 éditeurs actifs dans le domaine de l’édition, dont seulement 14 sont implantés en dehors d’Alger. En 2010, les services du registre de commerce (ministère du commerce) font état de 165 éditeurs déclarés et activant au niveau de tout le territoire national.
Il faut reconnaître cependant qu’en Algérie l’appareil statistique a toujours fait défaut, la fiabilité des données émanant de l’Office national des statistiques (ONS), malgré les efforts faits dans le sens de rendre disponible l’information, pose problème.
L’orientation vers d’autres sources d’information ayant une relation directe avec l’activité visée n’est pas aussi pertinente. A en juger par cette disparité entre les données fournies par les principaux acteurs/opérateurs dans le secteur de l’édition :
- Le site du Ministère de la Culture recense 77 éditeurs en activité sur le territoire national (la mise à jour des données fournies sur le site est aléatoire). La Direction du Livre au Ministère de la Culture, reconnait qu’environ 150 à 200 éditeurs sont actifs sur le terrain.
- Le site du BIEF (Bureau International de l’Edition Francophone) recense quant à lui 75 maisons d’édition.
- Le SNEL (syndicat national des éditeurs du livre) qui se base sur le nombre d’adhérents reconnait le chiffre de 73 éditeurs. (Précisons toutefois qu’un deuxième syndicat est aussi actif dans le secteur – syndicat des professionnel du livre- SPL).
- La Bibliothèque Nationale d’Algérie qui semble la source la plus fiable grâce au dépôt légal et l’obligation qui est faite aux éditeurs de se conformer à l’ISBN, recense 400 maisons d’édition et organismes éditeurs (Centres de recherche, universités, Laboratoires, Associations etc.).
- Enfin, l’ONS (Office National des Statistiques) recense le nombre de 445 maisons d’édition et organismes ayant pour activités l’édition.
Le Centre national du registre de commerce (CNRC) (considéré comme l’appareil qui dispose le plus de données fiables) confirme qu’en 2012, plus de 1100 sociétés enregistrées disposent de l’activité d’édition comme l’une de leurs raisons commerciales, alors que seules environ 350 d’entre-elles ont imprimé ou édité un ouvrage ou un opuscule.
Cette cacophonie dans les chiffres est souvent à l’origine des malentendus entre les pouvoirs publics et les opérateurs. Elle est surtout à l’origine des difficultés d’implication de l’Etat dans sa démarche pour l’orientation et le soutien au secteur de l’édition, présenté souvent comme argument en faveur de certains désengagements. L’ensemble des opérateurs (tutelles, éditeurs, syndicats etc.) reconnaissent qu’une réelle restructuration de l’industrie du livre doit passer par un assainissement de ce secteur.
d. Problématique de l’édition publique et de l’initiative privée en Algérie
La disparition des entreprises d’édition du secteur public a laissé un vide important quoiqu’on puisse dire sur leur gestion passée. Ce vide ne peut être comblé par l’initiative privée au vu du peu de moyens consentis et dont dispose actuellement ce secteur et au vu des stratégies opérées. Il est indéniable que l’édition privée, malgré les progrès réalisés est insuffisamment préparée et structurée pour parvenir à un niveau de performance qui permet de satisfaire les besoins de la société algérienne en matière de livre et de lecture. « Depuis que les activités de l’E.N.A.L, à la fois entreprise d’édition, d’importation et de diffusion des livres, ont cessé, le champ éditorial algérien a vu se constituer un certain nombre de maisons d’édition privées, très inégales quant à leur capacités de production, leur dynamisme, leur longévité, leur rentabilité, etc. » (23).
* La problématique des années 1980-1990. Une transition difficile
Le tournant que connaîtra le secteur de l’édition, à partir de l’année 1989, est très significatif. C’est à partir de cette date que le marché du livre va connaître ses premières initiatives privées en matière d’édition et de distribution. La carte de l’édition et des opérateurs va se développer d’une manière singulière. De moins d’une dizaine d’éditeurs depuis l’indépendance, le marché du livre explosera et ouvrira ses portes à plus de 140 éditeurs recensés, dans une inégale répartition géographique.
L’ouverture politique entamée après ce qu’on appelle, par euphémisme, « les évènements d’octobre » (1988) a permis l’émergence d’initiatives privées en matière d’édition mais aussi en matière de presse, avec la création de journaux indépendants. Longtemps considérés comme des enjeux, l’édition et la presse, étaient la chasse gardée des pouvoirs publics.
Cette ouverture s’est faite difficilement et d’une manière progressive. Chaque année voyait émerger son nombre d’éditeurs. Nouveaux venus dans le domaine, parfois sans grande expérience, et souvent sous l’effet de l’enthousiasme, cette catégorie d’éditeurs étaient très peu imprégnée des enjeux et des problèmes intrinsèques de l’édition, notamment dans un pays, une société en pleine crise de développement.
En dehors des éditeurs, déjà présents sur la place d’Alger, comme Laphomic (1985), Bouchène (1987), etc. l’année 1989 a vu la création d’une dizaine de maisons d’éditions comme les Editions Dahlab, les Editions Chihab, Dar El Houda, Dar El Hikma, Dar El Hidaya, etc. Les années qui suivent connaîtront l’émergence d’une centaine de maisons d’édition. Le pic sera atteint dans les années charnières 1994, 1995 et 1996.
La décantation se fera, rapidement, au cours des deux dernières années et beaucoup d’éditeurs mettront leur activité en veilleuse. L’enthousiasme du départ a laissé place au désenchantement. Les
difficultés à l’origine de beaucoup de reconversions d’éditeurs dans d’autres créneaux ou carrément l’abandon de l’activité, sont liés à deux problèmes majeurs : l’impression et la distribution.
La difficulté étant essentiellement d’ordre infrastructurel, ces nouveaux éditeurs n’ont pu échapper aux difficultés qu’a connu, bien avant eux, la S.N.E.D et par la suite l’E.N.A.L, ainsi que les autres éditeurs de moindre importance. Les problèmes de l’imprimerie étant le nœud gordien dans la problématique de l’édition, il était impossible de les dépasser dans une conjoncture qui n’est que la conséquence des pratiques antérieures, même si, paradoxalement, ce contexte a permis la création de conditions d’émergence de l’initiative privée en matière d’édition.
* Dualité de l’édition et production de livres
La production en titres a connu une évolution nettement visible durant les années 1990 comparativement à la période 1960-1980. La présence d’une initiative d’édition privée a, quelque peu, dopé les entreprises du secteur public ressentant le besoin de se repositionner dans le secteur après avoir connu une série d’échecs. En effet, dans l’absolu, l’augmentation du nombre de maisons d’édition a entraîné une augmentation du nombre de titres publiés. Par ailleurs, un certain nombre de maisons d’édition privées ont vite percé, et se positionnent sur le marché comme des éditeurs, potentiellement puissants, grâce au nombre de titres publiés, dans un temps très court, et à la qualité des ouvrages édités.
Les maisons d’éditions les plus en vue sont : Casbah Editions, Editions Chihab, Editions Anep (notamment entre 2001 et 2005), l’Enag, Barzakh Editions, Dalimen Editions, Apic Editions, Editions Alpha, Sedia Editions, Gal Editions, Lazhari Labter Editions, Editions du Tell, Editions El Ikhtilef.
Cette dynamique est perceptible dans les chiffres que fournissent, ensemble, le secteur public et le secteur privé, nouveau venu dans le domaine, concernant leur production en titres.
Cet aperçu général sur la production de livres qui peut nous inspirer des commentaires et analyses, notamment en matière de nombre de titres par année et son évolution à travers ces trente dernières années, depuis l’indépendance du pays, reste imparfait et incomplet dans la mesure où la contextualisation de cette production est importante et permet de situer les enjeux et de comprendre les stratégies opérées par les entreprises d’édition étatiques, le secteur privé et les pouvoirs publics.
Néanmoins, ces tableaux doivent être complétés par des données qui permettent de situer plus ou moins les tendances en matière d’édition, de secteurs d’édition, de catégories d’ouvrages et de spécialités à partir de 2010, année à partir de laquelle les pouvoirs publics (le ministère de la culture) donnent des signes d’intérêt pour l’édition à travers une multitude de manifestations (salons, festivals et fêtes du livre, subventions, assouplissement des dispositifs fiscaux, etc.) et sur lesquels nous allons revenir.
Il faut cependant préciser qu’actuellement, près de 80 % du marché sont détenus par l’édition privée. L’Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG), l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (ANEP) et l’Office des publications universitaires (OPU) relevant du secteur public ne couvrent maintenant que 20 % du marché.
Lors de la manifestation « Alger, capitale de la culture arabe » en 2007, l’État a consacré 3 milliards de dinars (29 millions d’euros) à l’édition ou la réédition de plus de 1 200 ouvrages en arabe et en français, publiés par les trois maisons publiques encore existantes (ENAG, ANEP, OPU) et une cinquantaine d’éditeurs privés.
L’Algérie publie aujourd’hui près d’un millier de titres par an en moyenne et l’implication de 70 éditeurs (en moyenne) dans cette activité.
* Production de livre et contrôle bibliographique : le dépôt légal
Nous avons ciblé essentiellement l’année 2011, les mois de janvier et juin, pour la collecte des données enregistrées au niveau du dépôt légal (source plus ou moins fiable en matière de chiffres et statistiques sur l’édition en tant qu’ « appareil de contrôle ») concernant la production d’ouvrages. Les tableaux qui suivent se situent dans l’intervalle d’un semestre et permettent d’avoir une idée sur la réalité de la production (moyenne en titres produits).
La difficulté première que rencontre la Bibliothèque Nationale dans l’enregistrement et le suivi de la production de livres se situe au niveau du non-respect du Dépôt légal. Un grand nombre d’éditeurs ne respectent les engagements pris lors de la proposition de titres à publier.
Le piratage et le non-respect de la propriété intellectuelle en général est souvent dénoncé par certains éditeurs qui s’inquiètent de l’ampleur du phénomène au cours des dix dernières années.
L’impression sauvage, notamment d’ouvrages à caractère religieux et surtout du livre pour enfants inquiète au plus haut les pouvoirs publics et les associations de défense des droits des enfants.
Le tableau qui suit indique l’ampleur du phénomène pour les années de 1997 à 2007, période durant laquelle l’émergence de maisons d’édition privées était au point le plus haut, en concurrence avec les maisons d’édition du secteur public. La facilité d’exercer le « métier d’éditeur » n’était pas encore codifiée.
L’intervention des pouvoirs publics
Le livre étant un bien économique spécifique, il est justifié de vérifier si l’intervention des pouvoirs publics et l’introduction de considérations institutionnelles permettent d’articuler plus aisément logique marchande et logique culturelle.
En général, les modalités d’intervention des pouvoirs publics se sont construites autour de cinq catégories de régulations et dans presque tous les pays :
- celles qui conduisent à soutenir des projets éditoriaux lourds et peu ou pas rentables, et à aider le marché dans ses aspects les plus innovants :
– aides aux auteurs et traducteurs,
– aides aux éditeurs et soutien aux activités littéraires,
– aides aux librairies prêts pour la création ou le développement de librairie) ; - celles qui touchent à l’organisation du commerce de détail, que la loi encadre afin d’assurer le maintien d’un réseau diversifié de points de vente ;
- celles qui ont trait à la lecture publique, qui permet de passer des commandes au marché et de développer un service public de lecture et de prêts susceptible de créer des habitudes qui profitent à d’autres formes d’accès au livre ;
- celles qui ont trait à la fiscalité, avec un taux de TVA réduit (5 %).
- celles qui relèvent du cadre plus général de la propriété intellectuelle.
a. Des actions de soutien
Les manifestations internationales ont été prises comme occasions par les pouvoirs pour s’impliquer davantage dans le soutien au secteur de l’édition en dehors des manifestations artistiques et rencontres scientifiques.
Ces actions sont déterminées par des considérations politiques mais qui, aux yeux des principaux bénéficiaires, elles peuvent encourager le développement de l’édition et l’accès à la lecture dans un contexte et une société ou le livre est de moins en moins visible et accessible financièrement.
C’est le cas, en 2003, de« L’année de l’Algérie en France » où les pouvoirs publics ont consacré plus 100 millions de Dollars pour soutenir l’activité d’édition.
C’est le cas aussi, en 2007 de l’évènement « Alger, capitale de la culture arabe » ; en 2009 « Le festival culturel panafricain » ; en 2011 « Tlemcen, capitale de la culture islamique » ; « Le salon du livre sur le patrimoine de l’Islam » (novembre 2011). Chaque année, le ministère de la culture commande à tous les éditeurs de 1 000 à 2 000 exemplaires par ouvrage.
En 2007, lors de manifestation « Alger, capitale de la culture arabe », l’Etat a consacré 3 milliards de dinars (29 millions d’euros) à l’édition.
b. Le texte de loi sur le livre
En 2002 (du 11 au 18 décembre), à l’initiative du Syndicat professionnel du livre (SPL), sous le patronage du ministère de la Culture, en partenariat avec l’Unesco (représentée par Alvaro Garzon), l’Association des libraires algériens (ASLIA), et l’Office national des droits d’auteurs et droits voisins (ONDA) ont été organisées les 1ères Assises nationales du livre à la Bibliothèque nationale d’Algérie (BNA) 2002.
Les travaux de ces Assises ont été couronnés par l’adoption d’un avant-projet de loi sur le livre et la lecture publique et de 42 recommandations soumis au ministère de la Culture pour étude et mise en œuvre éventuellement. Parmi les recommandations les plus importantes :
-La mise en œuvre d’une politique nationale du livre
-L’adoption d’une loi sur le livre
-La création d’un observatoire national du livre
-La création de bibliothèques communales
Ces propositions avaient été déjà formulées dans le rapport d’Alvaron Garzon de 1998. Expertise demandée à l’Unesco par les pouvoirs publics algériens afin de disposer d’un diagnostic objectif et précis sur la situation du livre et de la lecture dans le pays.
La présente loi sur le livre qui vient d’être promulguée (14 ans après) a été maintes fois revendiquée par l’ensemble des acteurs notamment les éditeurs et les libraires et à différentes occasions.
Face à tous les reproches qui voudraient qu’il n’y ait pas eu de concertation préalable à la rédaction du projet de loi, le ministère de la culture affirme que la rédaction de cette loi, s’inspire largement des Assises du Livre de 2002, puis des consultations, les années suivantes, avec divers professionnels et que depuis des années, il essaie de faire passer cette loi.
Ce « Projet de loi relative aux activités et au marché du livre ayant pour objet de développer et d’encourager l’écriture, la production et la commercialisation du livre produit en Algérie et de favoriser sa promotion et sa distribution » selon l’intitulé officiel consacre, en premier lieu, une constante de la politique culturelle en Algérie, celle d’une centralisation administrative et institutionnelle et d’un encadrement législatif avec son corollaire pénal dissuasif, force est de reconnaître qu’une réglementation de l’activité de production et de diffusion du livre a été maintes fois réclamée par les différents intervenants de la chaîne du livre,
Retenons simplement les éléments les plus significatifs apportant de nouvelles approches par rapport à une situation antérieure difficile. L’existence du texte est en soi une avancée. Il a le mérite d’exister et de participer à structurer l’industrie du livre en Algérie. Il a le mérite aussi d’avoir intégré des éléments nouveaux tels que :
* Prix unique du livre
Mais l’une des nouveautés de cette loi c’est le « prix de vente du livre au public » à travers les articles 29 à 32 qui limite les fluctuations des prix en fixant « un seuil » aux « remises pratiquées par les librairies, les éditeurs et les importateurs nationaux pour la vente de livres lors des festivals, salons, foires et manifestations autour du livre ».
Le prix unique du livre instauré par l’article 29 qui stipule que « les livres présentant un contenu identique et les mêmes caractéristiques de forme, sont vendus au même prix sur tout le territoire », participe aussi à réguler un marché bien débridé.
* L’accès à la commande publique
L’article 16 qui propose d’ouvrir l’édition et la commercialisation du livre scolaire aux compétences nationales, en permettant aux éditeurs d’avoir un égal accès à la commande publique, donnerait a beaucoup d’éditeurs une assise économique telle qu’ils pourraient investir sur des collections et des ouvrages à rentabilité plus lente et plus risquée .«Avec 67 millions d’exemplaires par an et plus de 170 titres », le livre scolaire, à titre d’exemple, insufflera une dynamique à l’édition.
* Le soutien aux librairies
Une autre nouvelle disposition (article 27) oblige les institutions publiques, collectivités locales ou établissements publics à acquérir leurs livres « auprès des librairies situées dans la wilaya d’implantation de l’entité publique auteur de la commande », ainsi la garantie d’un marché aux librairies permettra à ces dernières un développement et une
implantation dans toutes les wilayas.
c. Les réserves et récriminations contre le texte de loi
Le projet de loi ne fait pas l’unanimité dans les rangs des professionnels du livre. Outre les risques de « favoritisme », d’aucuns craignent que l’effort de « régulation » ou les renvois au respect de la Constitution, aux religions, de même qu’aux questions de souveraineté et de sécurité nationales soient exploités à des fins de “censure”, de « marginalisation » ou de harcèlement « judiciaire », contre ceux qui sortent du moule exigé.
Cette position est surtout inspirée par « les mesures conservatoires et pénales strictes » inscrites dans la loi notamment dans son article 9 qui soumet l’édition, l’impression et la commercialisation au respect « de la constitution et des lois, de la religion musulmane et des autres religions, de la souveraineté et de l’unité nationale et des exigences de la sécurité,
de la défense nationale et de l’ordre public ».
Un éditeur-libraire formule ainsi ses réserves par rapport à ce projet de loi « Plusieurs dispositions de ce texte sont de nature à mettre en danger le développement des métiers du livre dans notre pays. Un esprit contraignant, répressif et attentatoire aux libertés individuelles et collectives protégées par la constitution, imprègne la plupart des articles de ce projet. S’il venait à être adopté en l’état, cela constituerait une grave régression pour la culture et divers domaines de la vie sociale. De l’écrivain aux éditeurs, imprimeurs, libraires, bibliothécaires, scolaires et universitaires, personne n’est épargné par l’épée de Damoclès que constituerait cette loi » (24).
Le projet procède, à l’évidence, d’une volonté d’encadrer le secteur en amont et en aval, d’où la multiplication des autorisations nécessaires à l’importation de livres, aux dons, à l’organisation de manifestations dédiées au livre, à l’ouverture de bibliothèques privées, etc. Ces dispositions sont pour beaucoup perçues comme liberticides puisqu’elles donnent toute latitude à l’autorité administrative d’accorder ou non l’autorisation sollicitée, ce qui peut servir à l’occasion de prétexte à des velléités de censure.
Conclusion
A travers cet ensemble d’éléments de constat et d’analyse, l’Algérie se singularise par la velléité de s’inscrire dans une dynamique d’ouverture, de développement en disposant de moyens (financiers, humains et une importante infrastructure) et paradoxalement elle présente l’image d’un pays à la recherche d’une assise solide à son identité, à sa culture et son patrimoine sans pour autant mobiliser les moyens adéquats pour leur valorisation. Cette méprise est logiquement justifiée par l’histoire du pays, son évolution, ses crises et les stratégies qui s’opèrent autour des enjeux identitaires, culturelles, politiques et idéologiques du fait des composantes démographiques et socio-ethniques présentes. L’absence d’un projet de société, rendu difficile par les mutations rapides et globales, participe à cette problématique transition qui veut que les pays en développement (mal-développement ou non-développement) s’appuient sur ce nouveau paradigme « culture-développement » (ayant pour corolaires « diversité des expressions culturelles », « démocratisation de l’accès à l’information et la culture », « créativité », « innovation », etc.) pour s’inscrire dans la voie du développement.
L’industrie du livre en Algérie est un exemple frappant des enjeux qui singularisent les pays en transition. Le passage d’une économie « planifiée » à une économie de marché, l’insertion dans une dynamique mondiale au plan des concepts, des stratégies, des déclarations et autres conventions constituent autant de difficultés pour les Etats et les sociétés (société civile et acteurs économiques et culturels) de concevoir un processus de développement.
L’intervention des pouvoirs publics doit se situer à un triple niveau : celui de la volonté politique à travers le suivi et l’application des recommandations pour lesquels l’Etat s’est engagé sur le plan international, Celui de la production de textes législatifs et la mise en application des dispositifs y afférents en matière de politique culturelle. Celui enfin de faire une réévaluation régulièrement de son soutien et sa contribution financière, (budget, fiscalité) à travers les lois de finance.
Abdelkader ABDELLILAH
Université Ahmed Ben Bella,Oran, Algérie
Source : umc.edu.dz
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Notes
(1) Adorno, T. (1964), « L’industrie culturelle », in Communications, vol. 3, n° 1, p. 12-18.
(2) Tremblay, G. (2008), « Industries culturelles, économie créative et société de l’information », in Global Media Journal, Édition canadienne, ISSN: 1918-5901 (English) ISSN: 1918-591X (Français), vol. 1, n° 1, p. 70.
(3) Zallo, R. (1988), Economía de la comunicación y la cultura, Madrid, Ediciones Akal, p. 26.
(4) Tremblay, G. (2008), op.cit.
(5) Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001) http://www.unesco.org/ new/fr/social-and-human-sciences/themes/socialtransformations/international-migration/glossary/cultural-diversity/.
(6) Tremblay, G., op.cit., p. 10.
(7) Ibid., p. 74
(8) Baghli, S.-A. (1977), Aspects de la politique culturelle de l’Algérie, Paris, Unesco.
(9) Schafer, P. (1975), « Vers un nouvel ordre mondial : l’âge culturel », Cultures, Vol. II, n° 3, les Presses de l’Unesco et la Baconnière. Réflexions préalables sur les politiques culturelles, Paris, Unesco, 1969 (Politiques culturelles : études et documents),
(10) Ibid.
(11) La politique culturelle de l’Algérie (projet), Groupe de travail sur la politique culturelle de l’Algérie, février 2013.info@alger-culture.com. http://www.vitaminedz.com/articlesfiche/1077/1077921.pdf
(12) http://www.m culture.gov.dz/mc2/pdf/schema%20directeur%20des%20grands%20equipements%20culturels.pdf
(13) Les rédacteurs soulignent que « La démarche adoptée obéit aux prescriptions de l’article 09 du décret exécutif 05-433 du 14/11/2005 et articule le schéma directeur sectoriel selon les trois axes suivants :
– Une analyse générale du domaine concerné pour en établir un diagnostic précis.
– Les actions à entreprendre à court, moyen et long terme selon leur répartition territoriale et les
éléments de leur programmation.
– Les projets prioritaires et les éléments nécessaires à leur mise en œuvre ».
(14) Schéma Directeur Sectoriel des biens, des services et des grands équipements culturels tel que prévue par le décret exécutif n° 05-433 du 14 novembre 2005, qui s’inscrit lui-même dans le cadre du schéma national du territoire (SNAT) pour l’horizon 2025, initié par la loi n°01-20 du 12 décembre 2001.
(15) Kessab, A. (2013), « Développement des industries culturelles en Algérie : limites et perspectives », Journées d’étude Entrepreneurs culturels et industries culturelles au Maghreb, Carthage, IHEC, 24 – 25 mai.
(16) Kessab, A. et Benslimane, D. (2012), Etude comparative sur certains aspects des politiques culturelles en Algérie, en Egypte, au Maroc et en Tunisie. Budget de la Culture/Déconcentration/Décentralisation | Echanges culturels.
(17) Ibid.
(18) Lallement, J. (1993), « Essai de définition économique du livre », in Cahiers de l’économique du livre, n° 9, p. 103-116.
(19) Gambaro, M. (1992), « Approches théoriques de l’industrie du livre », in Cahiers de l’économie du livre, n° 8, p. 82-101.
(20) Karpik, L. (2007), L’économie des singularités, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, p. 1-51.
(21) Evaluation des programmes, du livre, de la lecture et des industries culturelles de l’UNESCO 1990-1998, Service d’Evaluation et d’Audit Section d’Evaluation IOS/EVS/PI/15. UNESCO
avril 2002.
(22) Conseiller-expert en politique du livre auprès de l’Unesco, Alvaro Garzon est l’auteur du rapport sur la situation du livre en Algérie (1998).
(23) Haddab, M., (1999), Compte-rendu des travaux de la journée d’étude sur le livre et l’édition , Alger,
Institut national d’études de stratégie globale, 4 avril.
(24) Ouadi, B., éditeur. http://boussad.over-blog.org/